Pierre, bois, brique, ...

QUELS MATERIAUX POUR CONSTRUIRE PARIS ?

 

 

Depuis les origines de Paris, plusieurs matériaux ont été utilisés dans la construction des bâtiments. Leur choix  n’est pas seulement esthétique. Il s’inscrit dans un contexte à la fois technique, social  et culturel. Il est donc très intéressant de pouvoir les décrypter, indépendamment de l’intérêt  qu’ils présentent pour dater ces bâtiments et monuments.  Pour ne rien simplifier, les mêmes matériaux seront  considérés, tour à tour, comme nobles ou modestes.

 

Parmi ces matériaux, il y a notamment la pierre, le bois, la brique, le béton,  le métal et le verre.

 

 

1. LA PIERRE

On a coutume de comparer le sous-sol de Paris à un «gruyère ».  Cette existence de galeries souterraines ne date pas seulement du  20ème siècle, avec la construction du métro, puis du RER, qui se poursuit de nos jours, ni du  19ème siècle, qui coïncide avec la généralisation des réseaux d’égouts et d’adduction d’eau, favorisée par l’épidémie de choléra de 1832.. Les Romains, déjà,  avaient creusé des catacombes pour y ensevelir leurs morts. Ces cavités ont par la suite étaient réutilisées pour désengorger les cimetières  parisiens en plein air, et en plein centre ville (le cimetière des Innocents en est l’exemple le plus frappant), qui n’étaient pas sans poser quelques problèmes d’hygiène.

 

En vérité, il existe de nombreuses carrières à Paris, offrant de bonnes pierres à bâtir. Les Romains qui étaient  aussi  des bâtisseurs, ont, les premiers, trouvé dans le sous-sol  parisien la pierre indispensable pour leur monuments et leur voirie, exceptionnels à tous égards. Ce sous-sol  renferme, sur plusieurs mètres de profondeur  des couches de calcaire sédimentées depuis des millénaires, qui ont pu être exploitées, et utilisées en fonction de leurs différentes qualités.  On distingue en effet des bancs de calcaire plus ou moins durs, plus ou moins fins, plus ou moins homogènes, plus au moins blancs. Mais d’une façon générale, ce calcaire de Paris était très réputé, et était employé pour construire aussi bien des monuments, leurs soubassements, que les sculptures qui  les ornaient.

 

 

On le retrouve donc dès l’Antiquité, sous forme de moellons et de pierre de taille, dans la construction des thermes gallo-romains , puis au Moyen-Age,  dans l’édification des églises qui fleurissent partout, dans le Paris médieval  plus réduit que le nôtre : Saint-Pierre de Montmartre, Saint-Julien-le-Pauvre, Saint-Severin, Saint-Germain des Prés, Notre Dame, entre autres. On le retrouve  également dans la muraille Philippe Auguste érigée au 12ème siècle, dont les vestiges, dans le Marais notamment, nous permettent d’observer la forme et la taille de ces pierres et moellons, dans la Tour Saint-Jean ; et dans tous les monuments du vieux Paris. Comme l’a écrit Louis Sébastien Mercier dans son  Tableau de Paris, «…  on n’a pu construire tant d’édifices qu’en arrachant les pierres du sein de la terre ». 

 

Quant aux couches de gypse que l’on trouvait sur les flancs des collines de Montmartre, elles servaient à faire le plâtre et la pierre à plâtre, largement utilisés dans la construction, et elles  ont donné son nom à la rue Blanche, empruntée par les charrettes descendant de la butte et charriant le gypse.

 

Les carrières de Paris ont été exploitées jusqu’au début du 19ème siècle. Mais on n’attendra pas aussi longtemps pour diversifier les sources d’approvisionnement. A partir du XVème siècle, on fait venir à Paris, par bateau, la pierre de Saint-Leu, dans l’Oise, puis la pierre de Vernon, puis le calcaire blanc de Château-Landon, le même qui sera utilisé quelques siècles plus tard pour édifier la basilique Saint-Pierre de Montmartre.  Cette diversification se poursuivra au 17ème siècle, poussée par le Ministre de Louis XIV, Colbert, qui  craint que le sol parisien, à force d’extractions,  s’effondre sous les pieds de ses  habitants. L’avènement du chemin de fer au  19ème siècle, permettra d’aller chercher les matériaux encore plus loin, d’est en ouest.

 

Pierre de Paris ou pierre de taille ?

Il n’est pas toujours facile de les distinguer. La pierre de Paris des immeubles parisiens, de moins bonne qualité, est généralement recouverte d’un enduit avant d’être peinte.

 

La pierre de taille est particulièrement résistante, avec  un grain particulièrement fin et facile à travailler, que l’on privilégiait autrefois pour construire les cathédrales. Mais ce qui justifie sa dénomination, c’est que toutes ses faces sont taillées, pour être bien planes et un résultat proche de la perfection. C’est pourquoi les tailleurs de pierre sont une corporation très présente au Moyen-Age.  Par la suite, la pierre de taille a été rendue obligatoire dans la construction des immeubles  haussmanniens. D’où la tendance actuelle à associer les deux. La pierre de taille vient généralement de St-Maximin, dans l’Oise, et on la retrouve dans nos plus beaux monuments, le Louvre, les Invalides,   l’Assemblée Nationale et les bâtiments autour de la place de la Concorde …. 

 

 

2. LE BOIS

Au Moyen-Age, on a privilégié le torchis, plus économique que la brique ou la pierre, pour remplir les ossatures bois, qui apparaissent en façade des maisons sous forme de colombages. On choisit les meilleures essences, naturellement, pour les édifices remarquables. Il en est ainsi, par exemple, du bois qui constitue la charpente, et la flèche, de Notre Dame.

 

Plus léger que la pierre, le bois est plus facile à transporter et à tailler. Problème : dans les ruelles étroites du Paris médiéval, les encorbellements des maisons augmentaient le danger de propagation des incendies. Ils ont donc été interdits au début du 17ème siècle par Henri IV, et les colombages devaient être recouverts d’une couche de plâtre protectrice. Puis on a purement et simplement interdit la construction même de ce type de maisons. Il faut dire que l’incendie meurtrier de Londres de 1667 a provoqué un électrochoc dans notre capitale. Encore répandues dans certaines villes de Normandie ou d’Alsace, ces maisons sont donc très rares à Paris, dans leur état originel.

 

On continue néanmoins de trouver du bois dans certaines charpentes (les combles) et ossatures (poutres apparentes) qui donnent tout son charme à l’habitat. Et bien sûr dans les portes, portails, portes à imposte, et autres portes cochères, qui témoignent d’un savoir-faire artisanal, auquel il est malheureusement de moins en moins fait appel, et qui constituent l’un des joyaux, à préserver, de nos monuments ou hôtels particuliers. Ce que font, heureusement, les Monuments Historiques.

 

 

Aujourd’hui, on regarde le bois d’un œil neuf, et écologique. De grands projets de construction d’immeuble bois sont lancés, notamment dans l’est de Paris. Matériau propre, à faible nuisance, le bois peut être utilisé aussi bien pour la structure d’un bâtiment,  qu’en façade, sous forme de bardage à claire-voie par exemple. Jean Nouvel, déjà, le mettait à l’honneur en en revêtant partiellement les façades vitrées du bâtiment principal de son  musée du quai Branly, inauguré en 2006.

 

 

3. LA BRIQUE

L’utilisation de la brique, cette pierre cuite,  a beaucoup varié dans le temps, en fonction du prix qu’on y attachait. Tantôt signe de richesse, tantôt boudée au profit de la pierre, considérée comme plus luxueuse, la brique est pourtant un matériau aux multiples avantages. Ce qui n’a pas échappé aux Romains, qui l’utilisaient déjà largement, et l’ont importée en Europe, et notamment à Paris, où nous pouvons la retrouver dans les vestiges des thermes de Cluny.

La brique a ensuite été abandonnée, pour être brièvement réemployée sous le règne d’Henri IV, entre 1600 et 1630, et donner naissance à l’architecture dite « Louis XIII » (attention, faux-ami !). On en trouve de magnifiques exemples autour de  la place Dauphine, de la place des Vosges, dans la cour intérieure de l’Hôpital Saint-Louis…

 

Il faudra attendre le 19ème siècle pour qu’elle soit remise au goût du jour.  Son caractère économique en fait alors le matériau tout désigné pour le logement social, On la trouve abondamment dans les HBM (habitations bon marché) édifiées au début du 20ème siècle à l’emplacement des anciennes fortifications  qui ceinturaient Paris.

 

Son emploi dans les églises est, dès lors, peu apprécié, et il faudra beaucoup de ténacité à leurs concepteurs pour faire bâtir celle de St-Jean de Montmartre et celle de Saint-François d’Assise.

 

  

 Aujourd'hui, la brique ne souffre plus d'aucun préjugé défavorable. Au contraire. Les architectes ont très bien compris quel    parti  esthétique ils peuvent tirer des différentes possibilités que ce matériau offre, quant à ses formes, très diversifiées,   et quant à ses couleurs, dont la gamme variée peut être encore enrichie grâce au vernissage.
Ces possibilités se déclinent alors à l’infini. 

4. LE METAL

Au Moyen Age, le fer était utilisé pour sa solidité, sous forme de poutres pour renforcer les charpentes de bois, notamment dans les églises, et  sous forme d’ancres pour « agrafer » les pierres entre elles.

 

C’est à partir de la Renaissance que la ferronnerie  devient un élément décoratif, grâce à  l’essor des hauts fourneaux où se fabrique  la fonte. Sur les balconnets, garde-corps, rampes d’escalier, portails, le fer forgé, la fonte, le bronze, témoignent du talent des ferronniers d’art, et peuvent être admirés dans chaque rue de Paris.

 

Au 19ème siècle, la révolution industrielle, et le développement de la sidérurgie, vont modifier fondamentalement la construction. En 1807, ce sont 450 000 tonnes de fonte qui sont produites, à partir de laquelle on obtient le fer, l’acier, et d’autres dérivés. Ces matériaux ne sont pas seulement solides, ils sont aussi imputrescibles, et résistants au feu. Le témoignage le plus emblématique, après avoir été le plus décrié, de l’utilisation du métal  « à grande échelle » est sans conteste la Tour Eiffel, inaugurée en 1889.

 

 

Au 20ème siècle, le métal est utilisé à la fois dans les structures et dans les éléments de décoration. L’Art Nouveau ne pouvait pas passer à côté. Les lignes végétales, inspirées de la nature, qui le caractérisent, trouvent dans le fer un allié indispensable, omniprésent dans les immeubles d’habitation. Parmi les 37 ponts qui enjambent Paris, les ponts métalliques, s’ils sont les derniers sur le plan chronologique, sont loin d’être à la traîne  sur le plan esthétique. Le Pont Alexandre III, avec ses candélabres et ses sculptures en bronze doré, est même considéré comme le plus beau. Inaugurés à la même époque, le Pont Bir-Hakeim, et le célèbre pont Mirabeau présentent également de très beaux ornements.

 

5. LE VERRE

Associé au métal, le verre vient coiffer les halls de gare, qui se multiplient avec le développement du chemin de fer, et le résultat est si esthétique que l’un d’eux pourra être transformé en un superbe musée (Orsay). On retrouve ces deux matériaux, aux performances structurelles exceptionnelles, dans les 10 pavillons Baltard qui autrefois abritaient les halles de Paris, dans le Grand Palais, mais aussi dans les immeubles « industriels » utilisés par les ateliers de confection dans le quartier du Sentier,  dans les verrières des grands magasins ou des galeries commerciales, et sur les marquises, ces auvents vitrés très appréciés à la Belle Epoque.

 

 

On retrouve également ces deux matériaux, de manière indissociable, dans des monuments plus contemporains, tels que  le nouveau Palais de Justice ou la pyramide du Louvre,  pour habiller la nouvelle canopée des Halles, ou sur des façades d’immeubles modernes, en front de Seine par exemple. 

Le verre se généralise au 20ème siècle, et on ne peut plus imaginer de construction sans ce matériau qui cumule les vertus : résistant  (notamment au feu … et aux effractions dans certaines conditions), composé de matières premières naturelles, et durable.  A travers ses multiples usages dans le bâtiment, le verre révèle toutes ses qualités esthétiques et techniques   

 

 

6. LE BETON

Au 20ème siècle,  siècle du Modernisme, un autre matériau révolutionnaire vient concurrencer le métal dans la construction des structures.

 

Le béton, ce mélange de sable, de ciment, de gravier, présente l’avantage, largement exploité par des architectes comme Le Corbusier, grand théoricien du Mouvement Moderne, ou Mallet Stevens, de pouvoir libérer les murs porteurs remplacés par de simples poteaux poutres, permettant la création de larges espaces épurés et lumineux.  

         

 

         Dans un premier temps, son utilisation se limite aux fondations, aux planchers et aux escaliers.                   On l’associe alors au métal (béton armé) pour en accentuer la résistance. 

 

         Les frères Perret oseront, les premiers, franchir le pas, et l’exhiber en façade. Leur  magnifique                   immeuble du 25bis rue Franklin, construit en 1903, est révolutionnaire en ce que non                                     seulement la structure  mais aussi les murs extérieurs sont intégralement en béton.

         Ces derniers sont seulement recouverts, partiellement, de motifs floraux de  décoration en                         pierre.

 

         Après la seconde guerre mondiale, le béton se généralise. C’est l’époque de la construction de                   grandes cités urbaines pour faire face à la croissance. Le béton bénéficie des progrès industriels

         et technologiques.  De plus en plus économique et de plus en plus résistant, sa famille s’agrandit               en  permanence, ce qui multiplie les applications. Le  béton peut être armé, contraint,  à hautes                 performances,  ou allégé.  Il peut être simplement peint,  recouvert de parements de pierre, ou                   entièrement dissimulé derrière les  façades de verre qui reflètent la lumière.

 

 

 

 

ET LES AUTRES MATERIAUX ?

Ardoise et zinc

 

Avant l’apparition des toits terrasse au 20ème siècle, les immeubles présentent un toit recouvert d’ardoise, un matériau coûteux que l’on réserve aux hôtels particuliers du 17ème et 18ème siècle, et aux immeubles haussmanniens, dont les angles monumentaux le mettent particulièrement en valeur, tout en soulignant le statut social de leurs habitants. 

 

Le zinc, plus économique, et plus largement utilisé,  contribue grandement au pittoresque et au charme des toits parisiens. Ils seront d'ailleurs peut-être choisis pour candidater à l'inscription des biens immatériels de l'UNESCO.

 

 

Céramique, mosaïque, carrelage ...

Le 20ème siècle est le siècle de toutes les fantaisies. On découvre les qualités esthétiques ou isolatrices de la céramique, du grès vernissé, du carrelage, de la mosaïque. Comme la brique, ces matériaux permettent d’obtenir très rapidement de belles compositions aux superbes effets décoratifs, et se substituent aux mascarons, consoles sculptées, atlantes et cariatides, frises, tous ces ornements de façade en pierre ou plâtre, souvent remarquables mais tellement plus coûteux. 

 

Les immeubles ou maisons Art Nouveau se distinguent par leur appropriation, sans restriction, de tous ces nouveaux matériaux. Le même édifice peut alors utiliser, dans sa structure et dans sa façade, à côté de la pierre et du bois,  le béton,  le métal, la brique, la céramique, pour de très belles harmonies. Le Castel Béranger de Guimard (« dérangé » pour certains détracteurs) en est une parfaite illustration. L’immeuble de la rue Eugène Manuel, moins connu, a lui aussi été primé au concours des façades, en1903, et témoigne du talent du céramiste Emile Muller. Quant au céramiste Alexandre Bigot, on retrouve sa poésie et son talent sur nombre d'édifices, parmi lesquelles l'église Saint-Jean de Montmartre, dont le portail est recouvert d'une multitude de cabochons de grès flammé.

 

 

QUOI D'AUTRE ?

La créativité des architectes et des ingénieurs n’a pas de limite. Avec eux, les matériaux, qu’ils soient ancestraux ou modernes, se plient – c’est le cas de le dire – à toutes les audaces. La Philharmonie de Paris, conçue par Jean Nouvel, est recouverte de 340.000 feuilles d’aluminium en forme d’oiseaux aux ailes déployées.

 

Franck Gehry, lui, a fait recouvrir - véritable prouesse technologique - le bâtiment  de la Fondation Louis Vuitton de 3600 panneaux de verre cintrés,  prenant la forme de 12 voiles de bateau incurvées, comme gonflées par le vent, soutenues par des poutres de bois et de fer.

Bientôt, les nouvelles technologies permettront de fabriquer et utiliser des matériaux de plus en plus innovants, esthétiques et bienfaisants, de les mixer entre eux pour en décupler les vertus : béton transparent pour laisser passer la lumière, plâtre purificateur d’air …..

 

 

On n’a sans doute pas fini de s’étonner.